Le 26 octobre 1993, le Bloc québécois, parti voué à l’indépendance du Québec, fait une percée spectaculaire aux élections fédérales canadiennes. Bien qu’il ne soit implanté qu’au Québec, le Bloc réussit même à devenir l’opposition officielle à Ottawa. Le Parti conservateur, premier aux élections précédentes, subit alors la déroute au Québec : il n’obtient que 12,9 % des voix et ne fait élire qu’un seul député.
Les résultats
Les tableaux ci-dessous montrent comment le vote s’est distribué au Québec. On y constate notamment que 3 720 312 citoyens et citoyennes ont exercé leur droit de vote (tableau D8.1a), que 49,2 % d’entre eux ont choisi le Bloc québécois (tableau D8.1b) et que 25,9 % d’entre eux proviennent de l’île de Montréal (tableau D8.1c).
Tableau D8.1a (données brutes)
Le premier tableau contient les résultats bruts pour l’ensemble du Québec. S’il donne les grandes lignes, on ne peut en tirer de résultats bien précis.
Tableau D8.1b (pourcentages en lignes)
Dans l’île de Montréal, le Parti libéral obtient la moitié des votes (50,2 %) et devance largement le Bloc québécois. En province, par contre, le Bloc obtient environ deux fois plus de votes que le Parti libéral (53,9 % contre 27,9 %). Au total (dans l’ensemble du Québec), le Bloc obtient 49,2 % de toutes les voix.
Tableau D8.1c (pourcentages en colonnes)
Le Parti libéral obtient une partie appréciable de ses voix dans l’île de Montréal : 38,7 % de tous les électeurs libéraux proviennent de la métropole (qui ne compte pourtant que 25,9 % des électeurs du Québec). Inversement, le Bloc va chercher des appuis relativement plus solides en région : 81 % de ses voix en proviennent, ce qui est nettement supérieur à la proportion totale d’électeurs qui résident en région (74,1 %).
On constate également que, pour la plupart des observateurs, c’est le tableau D8.2 qui fournit l’information la plus intéressante. Revenons donc quelques instants sur une donnée de ce tableau : le pourcentage de 49,2 % obtenu par le Bloc québécois dans l’ensemble du Québec. Ce pourcentage représente la moyenne entre les résultats à Montréal (36,0 %) et les résultats en région (53,9 %). Il s’agit bien sûr d’une moyenne pondérée, en ce sens que le poids de Montréal n’est pas identique au poids du reste du Québec. La moyenne pondérée se calcule de la manière suivante :
[36 x 25,9 %] + [53,9 x 74,1 %] = 49,3 %
[Score de Montréal x Poids de Montréal] + [Score des régions x poids des régions] = Score national
Le même chiffre peut être obtenu directement à partir des chiffres bruts du tableau D8.1a (comme tous les chiffres des tableaux D8.1b et D8.1c, d’ailleurs) :
1 832 067/3 720 312 = 0,492 = 49,2 %.
Note : nos chiffres étant arrondis, on constate parfois un écart d’un dixième.
L’île de Montréal regroupe les 10 comtés de Montréal-Est et les 10 comtés de Montréal-Ouest. Les 55 comtés restants sont groupés sous la catégorie reste du Québec. Le tableau D8.2 illustre de façon plus détaillée les divergences régionales.
Que prédisaient les sondages?
Nous reproduisons ici les trois derniers sondages parus dans la presse québécoise avant les élections. Les deux premiers (tableau D8.3) sont des sondages pancanadiens, aussi les marges d’erreur sont-elles assez élevées au niveau régional. C’est pourquoi nous nous attarderons plus spécialement sur le sondage SOM-La Presse-TVA (tableau D8.4) dont l’échantillon est le plus grand à l’échelle du Québec.
La marge d’erreur dépend de la taille de l’échantillon.
Tout d’abord, vérifions la marge d’erreur publiée. On a rejoint 1023 personnes dont 5 % (soit 1023 x 0,05 = 51) ont refusé de répondre. En tout, 972 personnes (1023 – 51) ont donc répondu. En principe, il existe une marge d’erreur pour chacune des proportions, mais nous la calculerons, comme à l’accoutumée pour une proportion type de 50 %.
Erreur type = √[0,5 × 0,5/√972] = 0,5/31,18 = 0,016 = 1,6 %.
Marge d’erreur (pour un niveau de confiance de 95 %) = 1,96 x 1,6 % = 3,14 %
Les indécis, bêtes noires des sondeurs.
On constate dans le tableau D8.4 que plus du tiers (36 %) des électeurs sont encore indécis, quelques jours avant le vote. Étant donné que les indécis sont, par définition, des gens différents des autres, leur présence nuit à la représentativité de l’échantillon.
Dans ce sens, la méthode qui consiste à répartir les indécis de façon proportionnelle, comme on le fait dans la colonne 2, est sans doute la moins appropriée. Voici tout de même comment s’est faite cette répartition. Étant donné que 64 % seulement des répondants se sont prononcés, il reste 36 % d’indécis à distribuer. Le Parti libéral, par exemple, ayant obtenu 18 % des intentions de vote sur les 64 % de gens qui se sont affichés, on lui alloue 18/64 des indécis, soit 18/64 x 36 = 10 points de pourcentage. Le Parti libéral passe de 18 % (colonne 1) à 28 % (colonne 2).
Les sondeurs de SOM ont préféré utiliser une autre méthode (colonne 3). Pour mieux répartir les indécis, ils demandaient à ces derniers d’évaluer, sur une échelle de 1 à 10, la probabilité d’aller voter pour chaque parti. Cette méthode a cependant ses limites : si le sondé ne sait pas lui-même ce qu’il veut, toutes les astuces pour lui tirer les vers du nez deviennent inutiles.
La troisième méthode consiste à utiliser l’expérience des élections précédentes (colonne 4). Comme il s’agit de choisir entre deux options fondamentales et non entre le parti Coke et le parti Pepsi, on peut sûrement tirer une leçon des votes passés où l’enjeu était similaire. On estime alors, pour l’avoir déjà observé, que les indécis sont plus craintifs ou conservateurs que la moyenne. En conséquence, on distribue les indécis pour deux tiers dans les partis du statu quo (soit 2/3 x 36 % = 24 %) et pour un tiers dans le parti du changement (soit 1/3 x 36 % = 12 %).
En fin de compte, le sondage demeure un bon outil pour faire des pronostics, à condition de tenir compte des faits suivants :
- 1) Le sondage constitue une photographie de l’opinion une semaine avant le vote : l’opinion peut avoir évolué après le sondage.
- 2) L’existence d’un nombre élevé d’indécis biaise les résultats en minant la représentativité du sondage.
- 3) Il y a toujours un risque (modeste et mesurable) de tomber, par hasard, sur un échantillon peu représentatif.